Organisation
Polymorphisme et Déterminisme des castes
Pris au sens strict, le terme de polymorphisme désigne l'existence simultanée d'une ou plusieurs catégories d'individus morphologiquement distincts. Ce phénomène est souvent très rare et exclusif aux insectes sociaux et se confond avec la notion de castes.
C'est chez les fourmis qu'il atteint son maximum de complication.
Le male est de beaucoup le plus stable des trois castes, on ne distingue que deux formes communes :
• les individus normaux, ailés
• les aptères qui ressemblent aux ouvrières
De plus, on distingue également les macranères, individus géants qui se rencontrent dans les colonies populeuses et les micranères, males nains apparaissant dans les nids artificiels.
La reine est en principe le plus grand individu de la colonie ; bien qu'elle rappelle dans sa morphologie les ouvrières qui sont des femelles théoriquement stériles, elle en diffère par sa fécondité et sa longévité dépasse de beaucoup celle des ouvrières. Wheeler distingue à coté des reines normales, des géantes (macrogynes) et des naines (microgynes).
L'ouvrière constitue la principale caste dérivant des femelles, c'est en principe une femelle devenue stérile par atrophie des ovaires et des voies génitales ; elle présente souvent un polymorphisme assez étendu avec toute une gamme d'intermédiaires séparant les types major et minor ; parfois la différence de taille est telle que les majors peuvent transporter plusieurs minors sur leur tête quand la colonie déménage ( Pheidolegeton ).
Le soldat (dinergate) apparaît comme une grande ouvrière particulièrement différenciée des individus normaux dans un but spécial. On réserve ce terme au cas ou les intermédiaires ont disparu et ou les majors possèdent une énorme capsule céphalique avec de puissantes mandibules ; peu actifs, les soldats sont surtout utilisés à triturer les graines ou à couper des aliments solides. Ils jouent généralement un rôle mineur dans la défense de la société qui est dévolue aux individus minor.
Les ouvrières moyennes sont parfois dénommées desmergates.
Le cycle annuel
Quelques années après sa fondation, l'effectif de la population d'une colonie adulte se stabilise à un niveau déterminé par els conditions bioclimatiques et les disponibilités alimentaires du territoire qu'elle occupe. La société atteint alors un état d'équilibre et présente une activité cyclique conditionnée par le rythme des saisons. L'activité de la colonie est nulle pendant l'hiver ou toute la population est au ralentie. L'hibernation est déclenchée par l'arrêt de la ponte de la reine à l'approche du froid. Elle va se réfugier en compagnie des ouvrières dans les profondeurs du nid.
Les fourmis s'agglomèrent dans la chambre d'hivernation en une grosse boule dénommée l'agrégat d'hiver : la reine est située en son centre, entourée de larves et les ouvrières sont disposées à l'extérieur, leur tête orientée vers la reine. L'hivernage ne correspond pas à une diapause mais plutôt à un état de dormance car la reine et les ouvrières reprennent leur activité lorsque la température atteint un certain seuil quels que soient les minimums thermiques auxquels elles ont été soumises.
La société déploie une inlassable activité à partir du réveil printanier et pendant toute la belle saison. Les alentours du nid grouillent d'ouvrières afférées qui retournent chargées de nourriture ou partent en chercher par les larges chaussées.
La reine conditionne l'activité des ouvrières par son rythme de ponte. Celle-ci débute lorsque la température printanière et l'état nutritionnel de la femelle atteint un niveau convenable. L'abondance du couvain et son odeur provoquent l'agitation des ouvrières qui travaillent sans relâche pour élever cette progéniture.
Sous nos climats, le travail des ouvrières présentent aussi un rythme journalier lié à la température : à une intense activité matinale succède pendant les mois chauds, une interruption aux heures de canicule suivit d'une reprise en fin d'après-midi. Dans les régions méditerranéennes, la sécheresse qui sévit en juillet et en août restreint les possibilités alimentaires et contraint certaines espèces à estiver (Crématogaster, Leptothorax).
Les réserves
Les fourmis se passent de réserves hivernales puisqu'elles ne se nourrissent pas au cours de cette saison. Seuls, certaines espèces estivantes des régions semi aride accumulent des aliments en prévisions des mois secs. Les fourmis moissonneuses emmagasinent des graines.
Le procédé de stockage des fourmis à miel est infiniment plus étrange. Pendant la saison humide, les ouvrières de cette espèce vont butiner en longue file, quand la nuit tombe, le nectar produit par des galles de cynipides et le miellat de puceron sur des chênes. De retour au nid, elles gavent de ces jus sucrés certaines de leurs sœurs par régurgitation. Le jabot de ces ouvrières citernes, ou nourrices, se distant de façon aberrante, leur abdomen s'enflent comme une outre, les membranes tégumentaires sont tendus à se rompre. Ces fourmis pot de miel se suspendent alors au plafond en voûte des chambres réfectoires et y demeurent des mois. Pendant la sécheresse, les sœurs normales de ces ouvrières viennent les solliciter pour qu'elles dégorgent les sucs nutritifs emmagasinés dans leur jabot. Elles jouent ainsi le rôle de garde mangé pour le reste de la colonie.
La répartition du travail
Les ouvrières qui restent à l'intérieur du nid s'occupent essentiellement du couvain, d'autres creusent des galeries nouvelles et les soldats montent la garde près des orifices. Celles qui travaillent à l'extérieur s'occupent de la construction du dôme, d sont entretien et surtout circulent à la recherche de nourriture. Il existe une division du travail dans toutes les sociétés de fourmis.
En général, ce sont les jeunes ouvrières et les minors qui s'occupent des besognes domestiques, les plus âgées et celle de taille moyenne ou grande vont fourrager à l'extérieur et exécutent les travaux de construction.
La vie au grand jour
Dans leur comportement à l'extérieur du nid et plus particulièrement dans la recherche de nourriture, les fourmis témoignent d'une organisation et de facultés d'improvisation égalée par aucun autre groupe d'insectes.
De nombreuses ouvrières parcourent sans relâchent le territoire qui entoure la fourmilière pour récolter des aliments. Cette région est dénommée « champ trophoporique » est farouchement défendue contre toute intrusion d'une colonie étrangère.
Très souvent, les récolteuses ne vagabondent pas au hasard dans le territoire mais se déplacent en colonne le long des pistes qui rayonnent autour du nid.
Les pistes à fourmis, de largeur variable au cours du trajet, conduisent à des arbres exploités par des « butineuses » (pucerons) ou se perdent dans les sous-bois en s'évasant à l'extrémité (terrain de chasse). En général, ce sont toujours les mêmes fourmis qui empruntent une piste donnée, autre preuve de la division du travail.
Si une ouvrière récolte une graine ou capture une proie trop lourde qu'elle ne peut transporter seule, certaines de ses compagnes la rejoignent, conjuguent leurs efforts et l'aident à ramener au nid la proie.
Le problème de l'orientation est l'un des plus complexes qui se posent aux myrmécologues. Les fourmis s'aventurent toutes seules loin du nid et sont capables de retrouver une importante source de nourriture dont une de leur compagne a signalé la présence. Les pourvoyeuses utilisent 2 méthodes pour se diriger : le repérage et l'orientation topochimique.
Les fourmis tracent des pistes odorantes avec la sécrétion des glandes de Dufour ; pour cela, elles font saillir leur aiguillon, et le laisse traîner au sol tandis que suinte e long de celui-ci des traces de cette sécrétion volatile ; la piste ainsi jalonnée par un seul individu disparaît en quelques minutes.
La sécrétion des glandes de Dufour permet aux pourvoyeuses isolées d'annoncer à leurs compagnes la présence d'aliments et de leur indiquer la direction à suivre ; les ouvrières qui vont à leur tout s'approvisionner traceront de nouvelles pistes, ce qui augmentera l'intensité de l'odeur émise, lorsque le source s'épuise, l'odeur des anciennes pistes s'évanouit et celles-ci sont délaissées par les ouvrières.
Il existe aussi une substance d'alarme sécrétée par les glandes mandibulaires, cette substance très volatile est décelable à une dizaine de cm, son action cesse après 35 secondes. Elle est hautement attractive pour les ouvrières qui se dirigent vers le point d'alarme désigné.
Les fourmis disposent d'autres procédés de repérage que les pistes olfactives. La lumière intervient toujours un peu dans le sens de l'orientation, même chez les espèces qui tracent des pistes odorantes.
Les pourvoyeuses isolées possèdent une mémoire étonnante des distances et des directions ; en effet elles reprennent automatiquement le chemin du nid. Toutefois, la route qu'elles suivent ne les mène pas exactement au nid mais dans ses abords immédiats. Arrivées dans cette zone, les ouvrières se mettent à tournoyer dans tous les sens : ces tournoiements de Turner finissent par les amener à l'orifice des galeries.
Le comportement social
L'approvisionnement du nid donne lieu à tout un transit des aliments récoltés qui sont de proche en proche distribués à tous les individus (trophallaxie). Les pourvoyeuses nourrissent toute la colonie : sexués, larves et autres ouvrières bien qu'elles ne représentent qu'une fraction de la population active.

Elles rapportent tous les aliments solides ou emmagasinent les liquides nutritifs dans leur jabot fortement dilatable et les régurgitent à la moindre sollicitation.
L'ouvrière solliciteuse provoque la régurgitation de la donneuse par des caresses antennaires, la donneuse se dresse, les antennes dirigées vers l'avant et laisse perler entre ses mandibules une goutte de nectar que sa partenaire aspire, les mandibules fermées et les scapes antennaires repliés vers l'arrière. Parfois d'autres ouvrières se joignent au couple sans avoir solliciter le dégorgement et absorbent le liquide. Une fois repue, les solliciteuses vont distribuer à leur tout à d'autres individus le contenu de leur jabot jusqu'à ce que toute la colonie en profite. Les larves et les sexués sont également nourris par régurgitation.
Les activités de léchage ne sont pas un des aspects mineurs de la trophallaxie. Elles se rattachent à 2 phénomènes :
• l'activité de toilette, innée chez toutes les fourmis,
• et l'attractivité qu'exerce sur les ouvrières les sécrétions tégumentaires de leurs semblables.
Les fourmis possèdent un organe de nettoyage tibio-tarsien avec lequel elles se grattent le corps entier et qu'elles lèchent ensuite longuement. Le léchage individuel se double de toilettes collectives.
Les ouvrières se gratifient réciproquement de d'étrillage pendant lesquels l'individu ainsi nettoyé reste immobile tan dis que le nettoyeur le lèche méticuleusement. Le léchage des ouvrières entres elles, des sexués et du couvain se rapporte à l'absorption de substances tégumentaires.